Comment peupler son environnement avec du mobilier de qualité, durable et confortable, sans surproduction ?
Le projet d’Enzo Mari, une façon de faire soi-même.
Aujourd’hui je me penche sur le projet « Autoprogettazione ? » d’Enzo Mari présenté en 1974 à Milan. Au-delà de mon admiration pour le travail et l’audace de Mari, il me semble que sa façon de concevoir et d’aborder le design s’inscrit plus que jamais dans les problématiques que nous connaissons depuis quelques années et davantage depuis quelques mois.
Le confinement aura peut-être au moins eu cet effet bénéfique de nous permettre de nous remettre en question sur notre manière de consommer. Je ne vous apprends rien lorsque je dis que nous traversons depuis plusieurs décennies une période de surconsommation, de sur-connexion, de suractivité, de surproduction, etc. Depuis le commencement de mes études de design, je me demande comment, à mon échelle en tant que créatrice, je peux tenter de contrebalancer ce phénomène. Notamment, quel est mon rôle dans la construction du monde de demain et comment faire ?
Autoprogettazione, self-design/ auto conception.
En 1974, le designer italien Enzo Mari présente dans une galerie milanaise l’exposition Autoprogettazione. Il s’agit d’un manifeste éponyme et d’une collection de 19 meubles à fabriquer soi-même avec des matériaux de base : bois, clous, scie et marteau. C’est un véritable coup de pied dans le design de l’époque, allant à contre-courant de l’idée d’hyper consommation. En effet, Mari cherchait à travers cette collection à rendre l’usager le constructeur de son environnement, répondant ainsi à ses propres besoins et non plus aux effets de mode caractérisant la société de consommation.

L’usager peut ainsi produire lui-même une table, des chaises, une bibliothèque, une étagère, un bureau ainsi qu’un lit dans des matériaux durables, pourquoi pas de récupération, sans avoir nécessairement des connaissances particulières en bricolage. L’avantage incontesté de ce fonctionnement est que l’usager est à même de choisir tout ce qui caractérise son mobilier : couleurs, matériaux, fonctions, usages, recyclage. Avec cette collection, Enzo Mari donne accès à 19 mobiliers durables et confortables dans le manifeste qui accompagne l’exposition en laissant un libre accès aux plans. Et libre à l’usager de modifier les plans de bases pour répondre à ses envies et à ses besoins.

Ce que m’intéresse ici, c’est la possibilité de construire soi-même les meubles qui nous entourent. Les mobiliers se chargent d’une valeur sentimentale d’autant plus grande, accompagné j’en suis sûre d’un sentiment de grande fierté. Plutôt que de se rendre passivement dans une grande enseigne de mobilier, pourquoi ne pas passer un peu de temps à réaliser soi-même ce dont ont à besoin. Cela me mène à me poser les questions suivantes : de quoi ai-je besoin ? De quoi ai-je envie ? À quoi ai-je accès ? À ces questions essentielles je répondrais que j’ai besoin d’un environnement confortables et fonctionnel, composé de matériaux recyclables et recyclés à petit prix.

“C’est facile de comprendre maintenant que l’écologie est aussi importante pour l’homme que pour la fôret.”
Enzo Mari
Le mouvement du SLOW DESIGN
Toutes ces dimensions, on peut les retrouver dans la pensé du Slow Design théorisée par Alastair Fuad-Luke en 2004. En quelques mots le slow design, ou conception lente, c’est un courant qui englobe toutes les pratiques créatives s’opposerait à tout ce qui caractérise la société d’hyper consommation. Ce serait par exemple, en restant dans la thématique du mobilier, d’utiliser des matériaux recyclés et/ou durables comme le bois. De recycler des objets, de les transformer pour en changer l’usage, de ne consommer que ce dont ont à besoin.
Le mouvement du DIY (Do It Yourself/ fait le toi-même), dont Enzo Mari fait partie avec le projet Autoprogettazione, s’inscrit dans la pratique du slow design. Et a priori ce mouvement ne date pas d’hier. Il apparaît au début du 20e siècle à travers des revues, s’adressant surtout aux personnes vivant dans des zones rurales. Ces revus étaient destinées à enseigner des savoir-faire manuels pour permettre aux gens de fabriquer ou de réparer les objets du quotidien. Dans les années 70, ce mouvement s’exprime surtout à travers des jeunes gens vivant en Amérique du nord. Il s’agissait à l’époque, de rénover des habitations délabrées à prix abordable en faisant les travaux soi-même. On pourrait qualifier ces initiatives avec les terme français du système D, le D signifiant débrouille. Ce mouvement visait surtout à exprimer une forme de contestation sociale et environnementale née dans les années 60 contre la société de consommation. Dès la fin des années 90, le mouvement s’accélère grâce à l’accès à internet, et se diffuse à travers les blogs.
Si aujourd’hui le DIY nous paraît banal, il s’agit pour certain d’une véritable voie parallèle à la société de l’ultra-consommation. En faisant soi-même, on se détache un peu de notre dépendance à l’industrie et on retrouve une certaine forme de savoir faire parfois oublier.
Ce mouvement incite à la lenteur en matière de consommation, au même titre que le slow fashion s’appose à la fast fashion, le slow cosmétique à la fast cosmétique, etc.
Autoprogettazione et plus encore.
En 2010 la chaise Sédia issu de la collection Autoprogettazione de Mari est édité par ARTEK. Les clients peuvent acheter des planches de pin près découpées et des clous. Ici contrairement au projet original de 74, l’usager n’a plus qu’à assembler les planches de bois grâce au plan vendu avec la matière première. Si au départ j’ai trouvé que cette initiative dénaturait le projet de Mari, basé sur le fais-le-toi même d’A à Z, je me dis avec un peu de recul que cette initiative permet aux moins bricoleurs d’accéder au design de Mari.
D’autres initiatives continuent de chatouiller les codes et proposent des voies alternatives.
El Warcha est un collectif basé à Tunis et à Tothenam qui construit du mobilier urbain éphémère avec des locaux. Les créations sont en bois, agrémentées parfois des matériaux de récupération. Cette initiative fait pleinement appel aux habitants pour la construction construction des aménagements. C’est une initiative mêlant créativité, entraide et défis environnementaux. Certains mobiliers sont d’ailleurs assez semblables à la collection d’Enzo marri. Ces ateliers sont un support pour transmettre des savoir-faire et connecter les gens entre eux. On retrouve à travers ce projet des grand principe du développement durable : connecter les dimensions environnementales, sociales et et économiques.
Je vous parle à présent de projets en open source, c’est-à-dire des projets ouverts à tous qu’on peut facilement trouver sur le internet. Open desk est une plateforme innovante, véritable caverne d’Alibaba, sur laquelle il possible d’acheter des mobiliers éco-conçus (production et matériaux locaux) mais également d’accéder à une ressource de plans en ligne de ce même mobilier. Le site permet par exemple de télécharger gratuitement des plans pour réaliser un banc en bois grâce à la technique de la commande numérique. C’est une manière simple de produire le mobilier dont a à besoin, sans surproduction.

L’organisation CUCULA d’aide aux réfugiés produit les mobiliers d’Enzo Mari à partir des plans de la collection de 1974.
Depuis plusieurs années, l’organisation a reçu l’autorisation de Mari pour produire et vendre ses meubles afin de récolter des fonds pour l’association. les mobiliers, dont la chaise Sédia sont produites à partir de bois de récupération, parfois en éditions limités. Cette initiative permet aux réfugiés d’avoir accès à un emploi.
«C’est ainsi que les jeunes créateurs de meubles africains transforment le chaos et la désolation en objets de grande qualité, qui dans leur esthétique engageante invitent au dialogue»
a déclaré un porte-parole de CUCULA à Dezeen
Finalement, le projet d’Enzo Mari ne cesse de nous inspirer. Il ne s’agit plus seulement de construire son mobilier, il s’agit aujourd’hui d’une véritable nécessité écologique, économique et sociale. En tant que créateur-concepteur, il est de notre devoir de nous interroger et de nous positionner en faveur de l’avenir, en favorisant des concepts respectueux et durables. En tant que consommateur, il est indispensable de revoir nos modes de consommation, pourquoi pas, comme le suggère Mari, en devenant nos propres constructeurs d’environnements.